L’éviction du président Mohamed Morsi par l’armée égyptienne est un coup d’Etat militaire pur et simple. En effet, cette éviction répond à la définition d’un renversement illégal de la tête de l’Etat par l’armée, une faction interne, ou les services de sécurité, par l’utilisation de la force ou de la menace de l’utiliser. Les expériences passées de coups d’Etats militaires comme le renversement du gouvernement Mossadegh en Iran en 1953, de Salvador Allende au Chili en 1973, ou encore le putsch militaire en Algérie de 1992 nous rappellent que les coups d’Etats militaires ne sont jamais un bon mécanisme pour la résolution de conflits.

Aujourd’hui, alors que la constitution a été suspendue et que l’armée a repris le pouvoir, quels sont les défis à relever pour l’Egypte ?

Sur le plan intérieur, le coup peut aggraver une situation déjà très fortement détériorée. Il va vraisemblablement exacerber la polarisation verticale de la société égyptienne. Les mesures prises par l’armée pour arrêter les principaux dirigeants et les cadres de rang intermédiaire du parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans, et la décision de suspendre au moins cinq des chaînes satellites pro-Morsi constituent une décapitation de la direction du mouvement. L’isolation de la direction de sa base militante en temps de crises politiques délicates pourrait pousser les éléments radicaux au sein des Frères musulmans ou d’autres groupes islamistes à commettre des actes violents. Ayant violé la légitimité constitutionnelle d’un président démocratiquement élu, il sera difficile pour la nouvelle direction d’établir son autorité tandis qu’elle manque elle-même de légitimité constitutionnelle. Le gouvernement putschiste sera certainement en mesure de gouverner de facto eu égard au soutien de l’armée, mais de jure il est dépourvu de légitimité. La nouvelle direction va inévitablement compter sur le soutien militaire faisant ainsi de l’Egypte un pays autoritaire comme cela a été le cas au Pakistan et en Algérie, pour ne citer que quelques exemples.

Au niveau régional, le coup d’Etat au Caire est un revers pour les aspirations des Arabes pour la liberté et la démocratisation exprimées lors des soulèvements de 2011 et après. La stabilité régionale se trouve menacée dans la mesure où le coup d’Etat peut non seulement fournir une nouvelle justification pour les groupes djihadistes, mais pose aussi le discrédit sur les mouvements islamistes salafistes qui s’étaient engagés à revoir leur discours en entrant en politique et en abandonnant le recours à la violence. Les groupes djihadistes pourront brandir une fois de plus l’argument que l’Occident soutient la démocratisation dans le monde arabe à la condition qu’ elle n’apporte pas les islamistes au pouvoir, comme cela a été le cas avec le Front islamique du salut en Algérie et le Hamas à Gaza. Enfin, cette nouvelle reconfiguration régionale sera aggravée par la situation sécuritaire précaire en Libye et la libre circulation du trafic d’armes.

Sur le plan international, l’échec des capitales occidentales de condamner l’éviction de Morsi et le soutien parfois tacite à la reprise armée renforceront la perception dans l’esprit des sociétés arabes que l’Occident n’est pas sérieux dans son soutien au processus de démocratisation dans la région. En outre, le discours djihadiste pourrait être ré-alimenté, dans un contexte régional instable dans lequel la région du Sahel est devenue une nouvelle zone de tension.

Dès 2011, nous avons informé tous les acteurs et parties prenantes jusqu’aux plus hautes sphères et à travers différents canaux, que l’échec de l’élite politique et de l’opposition à gérer la période de transition pourrait conduire à une polarisation extrême qui fournirait une justification à un retour sécuritaire de la gestion des affaires publiques, ou même à un retour d’un régime autoritaire. Les développements récents en Egypte nous montrent une fois de plus que pendant les périodes de transition, suite à des bouleversements politiques, il est nécessaire d’encourager de grands gouvernements de coalition nationale, et l’intégration de chartes de conduite dans les nouvelles constitutions ou lois.

Afin de réussir les transitions politiques dans le monde arabe, les élections et les processus de rédaction de la constitution doivent éviter toute forme de polarisation, et plus particulièrement toute forme de polarisation entre les partis politiques avec une référence religieuse et les laïcs. La création de coalitions comme mécanisme de neutralisation ou du moins comme mécanisme de dépolarisation est un instrument clé pour bâtir des sociétés justes et durables.

Il est aujourd’hui nécessaire d’appeler tous les acteurs politiques et les parties prenantes en Egypte à lancer une initiative de dialogue national en vue de parvenir à un accord consensuel capable d’inverser les mesures et les décisions dangereuses qui ont découlé de la transition politique et de l’antagonisme exacerbé au sein de la société égyptienne. Finalement, la communauté internationale porte elle aussi aujourd’hui une responsabilité pour soutenir et engager cette initiative de dialogue national.

Lakhdar Ghettas
Fondation Cordoue de Genève
4 juillet 2013

The Military Coup in Egypt: Challenges of the Transition

The ousting of President Mohamed Morsi by the Egyptian army is a military coup d’état pure and simple. Morsi’s ousting qualifies for a military putsch which is by definition the illegal removal of the head of the state by the army or a faction within it, or the security services, through the use of force or the threat to using it. Past experiences of military coup d’état such as the toppling of the Mossadegh government in Iran in 1953, Salvador Allende in Chile in 1973, and the military putsch in Algeria in 1992 remind us that military coups are never a smart tool for conflict resolution. The military coup in Egypt is a regrettable testimony for the failure of all political actors and stakeholders to manage the transition period, as a result of acute polarization. Now that the constitution has been suspended and the army has taken over what are the challenges faced by Egypt today?

Domestically, the coup may aggravate further an already deteriorated situation. The coup will exacerbate further the vertical polarization of the Egyptian society. The measures taken by the army to arrest the top leadership and middle rank cadre of the Freedom and Justice Party of the Muslim Brotherhood, and the decision to take off air at least five of the pro-Morsi satellite TV channels constitute a decapitation of the movement’s leadership. A militant base cut of its leadership in times of delicate political crises may push radical elements within the Muslim Brotherhood or other Islamist groups to undertake violent acts. Having breached the constitutional legitimacy of a democratically elected president it would be an uphill task for the new leadership to establish its authority due to its lacking in terms of constitutional legitimacy. The coup government will still be able to govern de facto given the backing of the army, but its legitimacy is devoid by de jure. The new leadership will inevitably rely on the support of the military turning thereby Egypt into an authoritarian country as it has been the case in Pakistan and Algeria, to name a few examples.

Regionally, the coup in Cairo is a setback for the Arabs’ aspirations for freedom and democratization that were expressed after the 2011 uprisings. Regional stability is at stake in that the coup may not only provide further justification for Jihadist groups but also discredit the Islamist Salafi movements that underwent discourse revisions and decided to enter politics and abandon the use of violence. Jihadist groups may brandish once again the argument that the West supports democratization in the Arab region only when it does not bring Islamists to power, as has been the case with the Islamic Salvation Front in Algeria and Hamas in Gaza. Moreover, this regional challenge will be compounded by the precarious security situation in Libya and the free flow of weapons trafficking.

Internationally, not only the failure of the Western capitals to condemn the ousting of Morsi but its tacit support for the army takeover will solidify the perception in the minds of Arab societies that the establishment in the West is never genuine in its support of democratization and freedom in the region. Furthermore, Jihadist discourse might be re-fueled, in a time when the Sahel region has become a new hotspot belt in the vicinity of an instable Arab region theatre.

From the outset we advised all actors and stakeholders, through different channels at the highest ranks, that the failure of political leadership and opposition elite to manage the transition period might lead to extreme polarization which could provide justification for calls of securitization of public affairs, or even force a return to authoritarian rule. The recent developments in Egypt show us once again that during transition periods following political upheavals the goal must be to achieve large national coalition governments, and the integration of consensual codes of conduct in the new constitutions or laws.

For the political transition to succeed in the Arab region elections and constitution drafting processes should avoid severe polarization in general, and specifically between political parties with a religious reference and seculars. Coalition building as a mechanism to defuse, or at least lessen polarization is therefore one of the key instruments to build just and sustainable societies.

There is now a need to call on all Egyptian political actors and stakeholders to launch an inclusive national dialogue initiative in order to reach a consensual agreement capable of reversing the dangerous measures and decisions that have derailed Egypt’s political transition and exacerbated antagonism within the Egyptian society. But ultimately the international community also shares a responsibility for this inclusive national dialogue initiative to take place and succeed.

Lakhdar Ghettas
The Cordoba Foundation of Geneva
4 July 2013

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